Les écritures bougées, nom du festival que j’ai créé en 2016 puis nom de la structure de production et de diffusion de la littérature sous toutes ses formes animée par plusieurs artistes et écrivains, est la formulation idéale d’une recherche permanente que je mène au travers de mon travail d’écriture et de programmation.
Dans le cadre des écritures bougées, nous organisons régulièrement des cycles d’événements invitant écrivains, poètes, chorégraphes, artistes à activer leur texte autour de différentes problématiques dans de nombreux lieux (librairies, centres d’art, galerie, FRAC, lieux alternatifs…). Le terme de lecture-action est utilisé pour nommer les diverses formes qui s’inventent lors de ces soirées.
À l’origine de cette structure se situe un questionnement autour de la lecture « active » de texte par son auteur mettant en jeu la plasticité du corps ou des protocoles de lecture (sonore, visuel, tactile, gustatif) afin de faire vivre une expérience double au spectateur/auditeur : une expérience littéraire au travers de l’écoute du texte et des sons de la langue et son « déplacement » par le mouvement du corps ou d’autres éléments. Ce « décollement » entre voix et corps permet de créer un vide, d’insérer une perte de sens qui rend possible un changement de point de vue sur un mot ou sur un texte dans son intégralité. Roland Barthes dans L’empire des signes, évoque ce qui « peut-être » lui rappelle le satori : « textes et images dans leur entrelacs, veulent assurer la circulation, l’échange de ces signifiants : le corps, le visage, l’écriture, et y lire le recul des signes. ». Pour prolonger cette réflexion sur la relation entre texte et image, la lecture-action peut s’envisager comme un déplacement du rapport signifiant/signifié par les mouvements des « lecteurs » et par les protocoles qui s’y rattachent, mobilisant objets, sons, images. La lecture-action agit sur la langue : le « mot-objet » interagit avec le corps, la lumière, les sons et les objets tangibles comme autant d’éléments hétérogènes qui viennent s’articuler dans un espace homogène (salle, galerie, espace vide) peuplé de spectateurs/auditeurs. Ces éléments hétérogènes qui constituent la lecture-action modifient l’énoncé, le déforment, le contredisent, l’amplifient, le résorbent. L’évènement qui a lieu alors se démarque du théâtre et de la danse, il désigne le vide, l’écart créé avec le langage.La double question qui se pose alors est la suivante : comment certains auteurs ou artistes travaillent-ils l’écriture et la lecture dans sa dimension spatiale, chorégraphique, sonore, quelle expérience en est faite par le spectateur ?
« Continuité-Dispersion », « Les nourritures criées », « Lèche ta robe » sont les noms de différents cycles de lectures-actions organisés par la structure Les écritures bougées. Proposer une problématique précise aux artistes invités permet de lier des esthétiques éloignées et de dresser une cartographie de l’écriture en mouvement. Au travers d’une programmation de plus de deux cents artistes, Les écritures bougées tentent de mettre en place de nouvelles approches plastiques de l’écriture, en mêlant différentes générations d’artistes, brassant les publics de l’art contemporain, du théâtre et de la danse contemporaine. Un premier ouvrage Les écritures bougées, une anthologie est paru en 2018 aux Editions MIX., un second est à venir, donnant à lire et à voir des textes et des images provenant du cycle Les nourritures criées.
Il s’agira lors de mon intervention de présenter le concept d’écriture bougée et le travail d’une dizaine d’artistes invités dans le cadre des évènements organisés par cette structure. Si certains sont chorégraphes comme Barbara Manzetti, Pauline Le Boulba et Yaïr Barelli, artistes liés à la performance comme Céline Ahond, Jeanne Moynot, Anne Lise Le Gac, Valentina Traïnanova, Alex Cecchetti ou écrivains comme Yoann Thommerel, Antoine Boute, Jérôme Game et Thomas Clerc, tous revendiquent une approche singulière de l’écriture et activent leur texte de manière tout à fait unique. Aziyadé Baudouin-Talec
Les écritures bougées 2021
Après une année tout à fait étrange, durant laquelle nous étions isolé(e)s, dénaturé(e)s, séparé(e)s, éparpillé(e)s, nous avons décidé pour la cinquième édition des écritures bougées, le festival d’orienter l’évènement autour de trois thématiques : l’espace, le vent, le temps. Nous souhaitons laisser passer l’air, laisser souffler, respirer à nouveau ensemble dans un même espace, réunir nos attentions au présent, oublier nos connexions, nos supports numériques multiples pour vivre la présence et sentir la vibration des mots proférés, des corps qui bougent. Seront réunis tout au long du festival une dizaine d’artistes qui présenteront des lectures-actions révoltées, soufflées, vibrantes, bougées, chantantes, vivantes !