Les Nourritures criées au Château d’Oiron

10.10.2020
Château d’Oiron, 79100 Plaine-et-Vallées
Le cycle de performances littéraires et gustatives
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— C’est dit, je pars, mais je ne veux plus jamais pour nos dîners que des choses dont nous aurons entendu le cri. (…) Ce que j’aime dans ces nourritures criées, c’est qu’une chose entendue comme une rhapsodie change de nature à table et s’adresse à mon palais.

Marcel Proust, La Prisonnière. Paris : Editions Folio Classique, 1923 (p. 107-120)

SCULPTURES • INSTALLATIONS

Isabelle Arthuis, Le banquet, 2011, sérigraphie, 400x300
Marc Brétillot, Vanité à la mimolette cironnée, 2020, cire d'abeille, charbon végétal, mimolette extra vieille, table et couvert, 70x50x130
Shqipe Gashi, Notes en Hautes altitudes 2020, céramique, tige filetée, sucre
Olivier Leroi, Terroir-caisse, 2019, fromages
Dixième moule malic, 2019, céramique
Natacha Lesueur, Sans titre, 1998, photographie couleur, épreuve chromogène, 80x80
Cécile Le Talec, E la nave va…, 2020, 200x200
Philippe Mayaux, Savoureux de toi, 2007, plâtre synthétique peint, porcelaine, résine
Yoko Ono, Kitchen piece, 1960 (reenactment)
Michaël Snow, Serve, Deserve, 2009, installation vidéo, 13'30, silencieux
Pierrick Sorin, Pour raison sanitaire, une vitre vous sépare de l’artiste, 2020, installation vidéo
Patrick Tosani, Bouchées, Sans titre, 2002, 4 photographies couleur c-print, 84x66
Camille Tsvetoukhine, Famille des gras, 2013, céramique émaillée, terre, cactus
Archéologie d'une alimentation modifiée, 2013, crayon de couleur, 4 dessins 210x297mm
HOPLASTUDIO, Service familier, 2020, 12 assiettes en céramique

VIDÉO

Marie José Burki, What could Saint Francis have been saying to the birds, 1999, 25’, couleur, sonore
Claude Closky, 200 bouches à nourrir, 1994, 5’, silencieux
mmmMMM, 2003, 1’, pièce sonore
Valérie Mréjen, Le goûter, 2000, 4’03, couleur, sonore
Thomas Schmahl & Aziyadé Baudouin-Talec, Meal, 2020, 23’03, couleur, sonore

LITTÉRATURE

Italo Calvino, Sous le soleil jaguar (Sotto il sole giaguaro), 1988
Georges Perec, « Tentative d’inventaire des aliments liquides et solides que j’ai ingurgités au cours de l’année mil neuf cent soixante-quatorze », L’infra-ordinaire, Seuil, 1989
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, 1913-1927
François Rabelais, Pantagruel, 1532, Gargantua, 1534

CONFÉRENCE-ACTION • PERFORMANCE

Térésa Faucon (théoricienne, Maître de conférences, Paris 3)
Magali Wehrung/Agathe Bouvachon

Les Nourritures criées se propose de réaliser le programme d’Albertine imaginé dans La Prisonnière de Marcel Proust au cœur même du Château d’Oiron, le samedi 10 octobre 2020. Deux écrivains, une artiste et deux designers culinaires présenteront des mots murmurés, chantés, scandés, criées et des saveurs spécialement concoctées pour l’occasion. Une mise en bouche qui se fera en extérieur et dans les salles du château où l’on pourra découvrir comme un préambule figues, melons, pêches, poires, cerises orner portes et plafonds. La collection permanente d’art contemporain compte de nombreuses œuvres liées à la nourriture parmi lesquelles un service de Raoul Marek où figurent 50 profils d’habitants d’Oiron dans la « salle à manger », une machine à faire les bonbons très bons d’Oiron imaginé par Fabrice Hybert, des verres remplis de vin rouge de Bill Culbert, Small Glass Pouring Light, ou encore dans l’appartement de la Vicomtesse l’herbier de Paul Armand Gette où l’on reconnait les plantes comestibles environnant le château… Le château d’Oiron vibre encore de l’ambiance des préparations des banquets cuisinés dans les grandes cheminées de la cuisine lors des somptueux dîners qui ont eu lieu dans les appartements du roi…

Les nourritures criées est un cycle de soirées de lectures-actions au cours desquelles écrivains et artistes activent des textes liés à un goût particulier et proposent une dégustation au public. Ce cycle est inspiré d’un passage de La Prisonnière de Marcel Proust dans lequel Albertine déclare en écoutant les maraîchers proposer leur marchandise en chantant :

— C’est dit, je pars, mais je ne veux plus jamais pour nos dîners que des choses dont nous aurons entendu le cri. (…) Ce que j’aime dans ces nourritures criées, c’est qu’une chose entendue comme une rhapsodie change de nature à table et s’adresse à mon palais.✱✱

Les nourritures criées, l’exposition prolonge cette réflexion sur les rapports entre littérature, nourriture et art contemporain. Comment les artistes traduisent selon leur médium de prédilection ce rapport à la nourriture dans leurs œuvres ?

Cette exposition réunit une vingtaine d’artistes français, suisse, canadien, albanais, de différentes générations. Parmi les œuvres exposées, la plupart sont des œuvres historiques, comme celles de Yoko Ono ou de Michaël Snow, les autres ont été spécialement produites pour l’exposition, celles de Marc Brétillot, designer culinaire, de Cécile Le Talec ou encore de Pierrick Sorin qui fait son grand retour avec une installation vidéo 3D inédite.

Pour toutes ces œuvres la question de la nourriture est centrale. Qu’elle soit filmique, photographique, sculpturale ou performative, chacune de ces œuvres envisage une manière différente de penser le rapport de l’art à la nourriture.

Les bouchées doubles

La présence concrète de la nourriture se manifeste au travers de l’œuvre de Yoko Ono, Kitchen piece (1960) dans laquelle les restes d’un repas sont projetés sur une toile vierge pour former une peinture « culinaire » : elle fait écho à l’installation de Michaël Snow Serve, Deserve, (2009), vidéo d’un repas « doublement » projeté.

Invité à faire une exposition en Pays Fort dans une grange pyramidale en 2019, Olivier Leroi a « transformé la grange non pas en palais mais par le palais » en proposant des fromages aux formes architecturales qui seront proposés à l’achat et à la dégustation pendant l’exposition.

La présence abstraite de la nourriture, au travers des quatre photographies de Patrick Tosani, Bouchées, convoque la matière saisie dans un processus de consommation et vient troubler la perception habituelle de la nourriture. Photographie encore avec la série Aspics (1998) de Natacha Lesueur dans laquelle l’artiste recouvre des crânes d’hommes et de femmes d’aliments divers et colorés. La nourriture devient motif, spirale, cercle, couleurs, un véritable vitrail.

Cécile Le Talec crée une vague salée E la nave va… (2020) qui vient dessiner en suspension jusqu’au sol les fréquences du son de la mer et relier poétiquement ces trois éléments. Sculpture à lécher, objet insaisissable, les Notes en Hautes altitudes (2020) de Shqipe Gashi forment une paroi discrète faite de rubans métalliques et de fleurs caramélisées : attention aux fleurs sirupeuses, qui s’y touche s’y colle. Marc Brétillot, inventeur du design culinaire, présente sa Vanité à la mimolette cironnée (2020), objet obscur, de texture et d’odeur inhabituelle… Le duo Hoplastudio, constitué de Magali Wehrung et Agathe Bouvachon, a conçu spécialement pour l’exposition un service en céramique, Service familier (2020), qui évoque avec malice La Recherche du temps perdu de Marcel Proust.

À table !

Dans le film de Marie José Burki, What could Saint Francis have been saying to the birds (1999), le moment du repas, peuplé de corps en mouvement, agité de rires qui se mêlent aux dialogues superposés, apparait au travers d’une intensité troublante. Ce moment fort qui correspond à la réunion des convives et de tout ce qui entoure la symbolique du repas est à nouveau convoqué dans la grande sérigraphie d’Isabelle Arthuis Le banquet, véritable cri dans l’air iodé de la plage, saisie ultime de l’ambiance de fête avant que les flots ne viennent engloutir les restes du déjeuner. Le film de Thomas Schmahl et d’Aziyadé Baudouin-Talec, Meal (2020) réunit artistes, écrivains et acteurs de diverses origines autour d’un déjeuner dont ils sont les auteurs et cuisiniers : les gestes et les regards se superposent aux goûts et aux sons comme une symphonie en mouvement, la parole se fait écriture.

Inclassable, le Savoureux de toi (2007) incarne l’éloge de l’amour fou et prépare à l’originelle fusion des sexes. L’œuvre de Philippe Mayaux invite le spectateur à se rapprocher afin de contempler sa préciosité et son double sens, objet de désir et d’étonnement.

Pince sans rire

Le titre des deux hamburgers en céramique de Camille Tsvetoukhine (2013), Famille des gras nous rappelle ironiquement ce que nous risquons à nous alimenter de nourritures infâmes, elle en fait des petits pots de fleurs pour ses cactus. Quatre dessins au titre aussi évocateur, Archéologie d'une alimentation modifiée, poursuivent dans le même registre grinçant. Valérie Mréjen met en scène une jeune femme qui attend ses amis pour prendre une collation chez elle (Le goûter, 2000). Va-t-elle éblouir ses convives par la splendeur de ses mets sucrés ? Suspense intenable. Claude Closky aime la répétition : dans la vidéo 200 bouches à nourrir (1994) une quantité impressionnante de barres chocolatées et autres friandises sont ingurgités dans autant de spots publicitaires... jusqu’à l’écœurement.

Enfin, Pierrick Sorin a créé spécialement pour l’exposition une installation vidéo 3D intitulée Pour raison sanitaire, une vitre vous sépare de l’artiste. Il faudra chausser des lunettes 3D, s’approcher délicatement en face de l’obturation faite à bonne hauteur et prêter l’oreille pour entendre la nourriture crier…

Le cycle Les nourritures criées a eu lieu en 2019 au CAC La Traverse à Alfortville, à Zoo Galerie à Nantes en partenariat avec le Maison de la poésie de Nantes, à La Criée à Rennes, sur la Plage des Dames à Douarnenez, et aura lieu le 10 octobre 2020 au Château d’Oiron.

✱✱ Marcel Proust, La Prisonnière. Editions Folio Classique, p. 107-120

Happer Trèfle avec Debora Incorvaia et Aapo Nikkanen, 25’
Géraldine Longueville
Que veut-on manger sur les lèvres des autres ? 15’
Fabrice Reymond
Bon bon goût, 20’
HOPLASTUDIO et Aziyadé Baudouin-Talec
Black Semen, 20’
Antoine Boute & Jeanne Pruvot Simonneaux
Biographies des artistes

Géraldine Longueville

Fabrice Reymond

Après des études de théologie protestante, il conçoit des documentaires pour France Culture entre 1993 et 1998, puis s’engage dans l’aventure de l’art. Depuis 2008, il publie tous les deux ans le nouveau tome d’un projet intitulé Anabase, le livre d’une vie, construit comme un musée conservant des fragments de textes patiemment consignés. L’énoncé programmatique d’Anabase est : «Perdu sur le chemin du retour, on sème les indices qui dessinent la carte du présent». Il transporte aussi ses textes sur scène ou à l’écran. Dernière parution, L’eau se rappelle la cascade, éditions Mix., 2015.

HOPLASTUDIO

HOPLA est un studio de design culinaire crée en 2012 par Magali Wehrung et Agathe Bouvachon. Apprenties sur les bancs de l’ESAD de Reims, elles goûtent à cette discipline chaperonnée par Marc Brétillot. En 2010 Magali sabre le champagne pour fêter son diplôme de design décroché grâce à un projet de cuisine mobile et pédagogique autour duquel elle anime par la suite des ateliers culinaires pour petits et grands. Pendant ce temps Agathe poursuit sa formation aux Arts Décoratifs de Strasbourg en communication visuelle entre saucisses et bretzels jusqu’à l’obtention de son diplôme. Elle intègre ensuite le studio de design graphique Ich&Kar, qui lui permet de mitonner entre autres des univers graphiques liés au monde de la gastronomie. Aujourd’hui designers indépendantes, leur travail porte aussi bien sur la mise en scène de l’aliment auquel elles aiment donner forme et sens, que sur les espaces ou les évènements liés à sa dégustation. Fortes de leurs expériences personnelles, liant volume, image et appétit, elle créent des banquets thématiques, collaborent avec des chefs, participent à des expositions collectives en France et en Europe et animent des ateliers culinaires pédagogiques en Île de France où elles résident jusqu’à nouvel ordre. Elles sont actuellement intervenante en design culinaire à l'ESAD de Reims.

Antoine Boute

Écrivain, poète sonore, essayiste, organisateur d’événements, il explore les impacts entre corps, langue et voix selon divers supports et moyens (papier, internet, scène) et aime collaborer avec d’autres auteurs et artistes. Son œuvre est un jeu constamment reformulé, absurde, inquiétant et amusant, auquel il convie qui souhaite y participer. Dernières parutions, Opérations biohardcores, illustrations de Chloé Schuiten, Les Petits matins, Paris, 2017.

Jeanne Pruvot Simonneaux

Aziyadé Baudouin-Talec

Aziyadé Baudouin-Talec est née en 1989 à Paris. Après des études littéraires et théâtrales à La Sorbonne Nouvelle – Censier, Paris 3 et une formation de comédienne, Aziyadé Baudouin-Talec écrit (théâtre, littérature, poésie) et met en scène en créant la Compagnie Apparatus. Elle s’éloigne progressivement du théâtre pour se consacrer à l’écriture et penser des rapprochements entre littérature, art contemporain et danse contemporaine au travers de lectures-actions. Elle crée Les écritures bougées, structure de production et de diffusion de la littérature contemporaine dans le cadre de laquelle elle invite auteurs, artistes, chorégraphes, réalisateurs et musiciens à produire des lectures-actions.